« Mais le passé surgit toujours de plus loin qu’on ne croit », écrivait René Char. Personne n’en a fini avec la deuxième guerre mondiale, car « l’homme, comme le dit Malraux, avait donné des leçons à l’enfer ».Personne n’en a fini avec 39-40, mais personne n’en a fini non plus avec les années qui ont précédé ce conflit, ni avec la moitié de siècle qui a suivi. Il ne s’agit pas simplement d’une guerre totale, il s’agit d’un trou noir, d’un effondrement de nos civilisations, d’une plaie béante, jamais cicatrisée. Pourquoi les démocraties ont-elles été incapables d’éteindre la montée des nationalismes, et du IIIe Reich ? Comment en est-on arrivé à la solution finale, et à l’holocauste ? Quelles représentations, quels mots pouvons-nous utiliser pour décrire, parler des camps de concentration, imaginer les conditions de vie, d’humiliation, endurées par des hommes, des femmes, des enfants, des innocents, promis aux chambres à gaz, promis aux fours crématoires ? Ces questions-là sont actuelles, elles nous remuent, elles ne nous lâchent pas, elles nous accompagnent. Hans Werk est l’un de ces anonymes, l’un de ces nombreux allemands à avoir adhéré aux jeunesses hitlériennes, à l’âge de douze ans. Il croit au régime nazi, aux promesses du Führer de donner du travail à tous, il croit appartenir à la grande Allemagne, et que le monde demain appartiendra à sa grande Allemagne. Dans un documentaire radiophonique, Hans Werk, maintenant très âgé, répond à une journaliste sur le thème du pardon. Je le cite : « J’ai eu deux occasions de parler aux vieilles personnes juives échappées d’Auschwitz. J’ai raconté mon histoire, en leur disant que je n’étais pas là pour présenter des excuses, car il n’y a pas d’excuses possibles ». Puis, la voix se brise, un long, un très long silence s’installe, le micro reste ouvert, les mots sortent, empreints d’une douleur, et d’un tragédie jamais réparées : « D’envoyer des femmes, et des enfants, aux fours crématoires, d’arracher des dents et des cheveux, à des personnes vivantes ou mortes, non, je n’ai pas d’excuse, je dois vivre avec ça ». En 1946, la propre mère d’Hans Werk avait alors eu peur de son fils… Dans cette même série radiophonique, les petits-fils de Whilhem Stuckart prennent la parole. Leur grand-père, décédé en 1953, était issu d’un milieu modeste et antisémite. Il est l’un des juristes, ayant participé à la conférence de Wansee qui met en place la solution finale. 15 personnes en tout, deux heures de discussion à peine, tout le monde quitte la villa rapidement, sauf Heydrich et un ami qui se servent un verre de cognac. Cynisme d’un geste, alors que la liquidation du peuple juif, et la Shoah, viennent quasiment d’être actés. Les petits enfants de Stuckart ont aujourd’hui 25 et 26 ans, ils n’ont jamais connu physiquement leur grand-père, ils ne l’ont jamais connu non plus dans les mots, dans les histoires, et les anecdotes qui fondent une famille. Je les cite : « Notre père ne nous a jamais parlé de notre grand-père. Ni de sa vie, de son rôle, ni même de notre grand-mère. J’ai connu mon grand-père, Whilhem Stuckart par… internet ! ». Culpabilité, mur du silence, difficulté toujours présente, d’affronter le passé, comme si une génération, celle qui gênait, avait été effacée de la mémoire familiale, de la filiation. Certains se voient reprocher, par leurs aînés, de fouiller dans le passé, d’autres remarquent que les insignes nazis ont disparu des albums photos. Non sans philosophie, un jeune allemand remarque que, si la tradition du déjeuner de famille du dimanche a disparu, c’est peut-être à cause de ça, d’une histoire dont on veut pas entendre parler, ni partager. Mais cette histoire est toujours là, présente, et brûlante. Ces témoignages touchants nous le prouvent : ce cauchemar n’a jamais cessé d’être vivant, présent, enfoui ou assumé, il est là, car il interroge, non pas une génération, mais toutes les générations. Car dans son entreprise d’autodestruction, le nazisme s’est attaqué, non pas à un territoire ou à un ennemi, non, il s’est attaqué à l’esprit des Lumières, et au genre humain, à la Révolution de 1789, comme à l’héritage de la démocratie grecque et du droit romain.C’est la civilisation des hommes qui s’est effondrée, et qui a vacillé en 39-40, et c’est dans ce trou noir que le IIIe Reich, le fascisme, et les lois raciales de l’extrême droite, ont entraîné les peuples sur tous les continents. Avec le recul, avec les années qui passent, le rôle des Etats (et je pense notamment au régime de Vichy, mais j’y reviendrai), l’implication de tel ou tel responsable, la montée des crises économique, politique, et sociale s’affinent, mais l’ampleur du drame reste toujours aussi vive, l’effroi toujours aussi présent. Personne ne peut s’habituer, et heureusement, à cette idée que le régime nazi, élu démocratiquement par ailleurs, ait pu mener à bien cette idée irrespirable : industrialiser la mort, penser, programmer, et exécuter un génocide à partir d’appartenances politiques, ethniques, et biologiques.Les chiffres de cette déflagration restent eux-mêmes inimaginables. La seconde guerre mondiale, c’est 25 000 disparus par jour. 55 millions de morts en 6 ans. La Shoah : 6 millions de juifs perdent la vie dans les camps de concentration, dans les camps de l’innommable.Tous les pays comptent leurs victimes ; par milliers, par millions (21 millions de morts pour la seule URSS !, 600 000 pour la France). Industrialisation de la mort, armes de destruction massive, expérimentations médicales et scientifiques, sur des cobayes humains. Le pire des régimes, le IIIe Reich, a écrit le pire des chapitres : 39-40 ! Des cadavres charriés sur tous les continents. Guernica, et Nankin en prélude, puis, Stalingrad, Auschwitz, Varsovie, Vienne, Lidice, Salo, Hiroshima, Oradour-sur-Glane, Drancy, Nagasaki, Treblinka, Dachau, Berlin, Izieu. Partout, des ruines, des deuils, des cendres, et des noms de ville qui ne résonnent plus, aujourd’hui, de la même façon. Lorsque le général Allemand, Alfred Jodl, signe la capitulation sans condition des armées nazies, le 7 mai 45 à Reims, ce que les chefs alliés annonceront le lendemain sur les ondes, il est déjà trop tard pour panser les plaies. L’irréparable a été commis, le Vieux Continent s’est suicidé, et la France, elle, n’a plus qu’à se regarder dans le blanc des yeux. Son drapeau, ses idéaux, son universalité, sont salis, souillés, foulés aux pieds, par une droite nationaliste, qui tient là sa revanche, mélange de Bonapartisme et de monarchisme. Elle tient sa revanche sur Rousseau et Voltaire, sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, sur les forces syndicales et politiques et plus d’un siècle de combats, pour l’émancipation et le progrès social. Le discours du patronat est relativement explicite : plutôt la peste noire que le péril rouge. Mais ce choix tragique du Pétainisme, la société française va le payer au prix fort. Les résistants, les communistes et socialistes, les juifs de France, dont près de 76000 d’entre eux vont être déportés dans les camps par le régime de Vichy, sont arrêtés, torturés, liquidés. Les femmes et le monde ouvrier, subissent aussi la rage de la droite nationaliste et pétainiste. La collaboration, c’est l’abject dans les actes avec les rafles de l’été 42, mais c’est aussi l’abject dans les textes de loi : l’avortement jugé comme « crime contre la sûreté de l’Etat », la mise en place des syndicats uniques, et l’interdiction du droit de grève. En matière de déportation, Vichy aura, non seulement fait preuve de lâcheté, mais le régime aura été plus loin encore, en appliquant, avec zèle, ce qu’il n’était pas obligé de faire, les ordres allemands. En mai 1942, n’oublions pas que c’est Bousquet lui-même qui demande à Heydrich si les juifs apatrides, internés en zone libre, peuvent être déportés en même temps que ceux de Drancy. C’est lui, à nouveau, qui s’engage à mettre la police française au service de l’occupant, pour arrêter les juifs dans les 2 zones. Le rôle de la France, du moins d’une certaine France, comme rouage et cheville ouvrière de l’Holocauste, est indéniable, et il faut saluer le discours de Jacques Chirac, en 1995, premier président de la République à reconnaître enfin, la responsabilité des autorités de l’époque, dans l’entreprise macabre de la collaboration. Assumer son passé, glorieux ou sombre, regarder en face une réalité, même celle qui ne plaît pas, c’est vers ce but que la France, avec son histoire, doit tendre et en la matière, les derniers discours de François Hollande prennent effectivement, le relais de Jacques Chirac. Oui, « le passé surgit toujours de plus loin qu’on ne croit », car, à travers les générations, circulent aussi cette image et cette force incroyable de la Résistance. Que serions-nous devenus sans elle ? Quelle idée de la France, des valeurs que nous portons, serions-nous en mesure d’incarner et de transmettre sans elle ? Voilà pourquoi la Résistance est un mot qui se conjugue et se vit au présent. Il faut bien prendre conscience de cette mémoire partagée, de cet héritage qui passe de main en main. Ils ne sont plus à ce jour, après la mort récente de François Jacob, que 22 compagnons de la Libération. Des voix s’éteignent, Stephane Hessel, Charles Jeannin, Raymond Aubrac, et les rangs ne vont cesser ainsi de s’éclaircir… Nous perdons là des êtres immenses, des « êtres mémoire », des êtres de combat et d’engagement pour la liberté, la république et l’avenir. La France d’aujourd’hui se doit d’être à la hauteur des résistants qu’ils ont été. Cessons déjà de croire à cette idée d’une France auto-immune, qui fabriquerait, grâce à des siècles de lutte républicaine, des anticorps suffisants, pour se prémunir de tout fascisme. Pétain n’est pas sorti des urnes, certes, mais le régime de Vichy n’est pas né non plus en un seul jour, du côté de Bordeaux. C’est dans les années 30 que le terreau des ligues d’extrême droite s’est étendu, c’est dans les années 30 que les conditions de l’avènement d’une droite nationale sont nées. Il fallait une débâcle, militaire de surcroît, elle a eu lieu en 1940, et la vitesse avec laquelle la république s’est effondrée, nous montre combien les démocraties restent fragiles. Les hommes, arrivés au pouvoir à l’été 40, étaient donc intellectuellement prêts à se mettre à l’œuvre et, en ce sens, l’avènement du régime de Vichy n’est pas un accident de parcours, mais bien l’aboutissement d’un processus de décomposition politique. Ce que nous disait Charles Jeannin, c’est que le pire n’est pas mort, il est juste tapi dans l’ombre.La France de 2013, au croisement des crises économique, sociale, et politique, se radicalise. En faisant sauter les digues entre droite républicaine et droite nationale, le précédent gouvernement a soufflé sur des braises dangereuses, qui peuvent rappeler, effectivement, les courants de pensée régressifs des années 30.Il y a à peine un an le président sortant, Nicolas Sarkozy, n’affirmait-il pas que « Marine Le Pen était compatible avec la République ». Des propos d’une extrême gravité, écho lointain de ceux des sénateurs italiens du début des années 20, qui ne voyaient pas d’obstacles entre le parti national fasciste de Mussolini, et la démocratie italienne. On connaît la suite de l’histoire… Les grands résistants, qui nous ont quittés ces derniers temps, n’étaient ni moralistes, ni sentencieux. Ils ne donnaient pas de leçon, mais, sans relâche, ils témoignaient avec force, pour que le cauchemar qu’ils ont vécu fasse leçon. C’est à nous, désormais, de porter leurs paroles, d’être les garants de la transmission, et les gardiens de la tolérance, et de la liberté, envers les jeunes générations. Avec humilité mais détermination, nous qui restons, soyons dignes de leurs combats et de leurs sacrifices ! Je vous remercie.
Cérémonie Parc Dupic , en présence des élus locaux, porte-drapeaux, anciens combattants, Vénissians et des représentants du Conseil municipal enfants. Les jeunes élus ont lu des poèmes de Rimbaud et Aragon.
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