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Le blog de Michèle Picard, maire de Vénissieux, député suppléante du Rhône
Fin de la guerre d’Algérie
Mars 2014, par adminMercredi 19 mars.
Retrouvez l’intervention de Michèle Picard à l’occasion du 52ème anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie.
Germaine Tillion va entrer au Panthéon. Au-delà des symboles, une femme de conviction, d’engagements et d’un humanisme profond, ouvre les portes de notre histoire collective et de la reconnaissance de l’État. Avec Germaine Tillion, au fil des épreuves qui ont marqué son parcours et forgé sa personnalité, c’est une grande partie du 20ème siècle qui nous est restituée. La folie macabre et suicidaire du nazisme, et le pétainisme en France. « Ce fut pour moi un choc si violent que j’ai dû sortir de la pièce pour vomir… », écrivait-elle, à l’annonce de l’armistice demandé par le Maréchal Pétain. Résistante dès l’été 40, elle sera déportée au camp de femmes de Ravensbrück, d’où elle survivra, grâce, comme elle le dit, « au hasard, ensuite à la colère, à la volonté de dévoiler ces crimes et, enfin, à la coalition de l’amitié ». Mais ce qui entre également au Panthéon et dans l’histoire collective de notre pays, c’est l’erreur terrible et tragique de la colonisation, c’est le drame de la guerre d’Algérie, et d’une République Française qui ne veut pas voir ce qui est en marche : l’émancipation des peuples, et l’indépendance des pays colonisés. Ethnologue dans les Aurès, dans les années 30, Germaine Tillion aura été plus qu’un témoin d’un conflit sanglant, elle en aura été une fine observatrice, et une ardente avocate de la population algérienne. Lorsqu’elle revient dans les Aurès en 1954, elle est atterrée par les conditions de vie qu’elle y rencontre.
L’exode rural, la raréfaction des parcelles, la destruction des liens sociaux, l’irruption de l’économie monétaire, ont fait basculer de nombreuses familles paysannes dans la misère. Les réactionnaires en France qui voulaient, en 2005, réhabiliter les bienfaits de la colonisation, feraient bien de lire les études de l’ethnologue. Ruraux appauvris, habitants des bidonvilles, les algériens subissent de plein fouet, sans parler de l’odieux code de l’indigénat, les discriminations et l’exploitation de la puissance colonisatrice, à savoir la France. Germaine Tillion enregistre les fractures, les blessures et la colère qui monte dans une société humiliée. Elle tire très tôt la sonnette d’alarme, estime que l’instruction primaire doit être renforcée, pour aider la population à passer de la condition paysanne à la condition citadine. En 9 mois, elle réussit à monter un projet socio-éducatif à l’intention des plus démunis, pour offrir aux jeunes et aux adultes, des services de dispensaire, des services sociaux, agrégés à des actions éducatives. Que l’on ne se trompe pas, à travers les missions qu’elle réalise en Algérie, l’ethnologue ne cautionne pas la colonisation, elle cherche à donner aux Algériens les moyens de leur émancipation, et d’une condition de vie plus humaine.
1956 marquera une rupture dans le conflit en Algérie, et dans l’implication de Germaine Tillion. La France s’engage dans une impasse, et s’enfonce dans le mythe de l’Algérie Française. Le 12 mars 1956, Guy Mollet, président du conseil, obtient le vote des pouvoirs spéciaux incluant, notamment, la création d’une procédure de justice militaire de « traduction directe » sans instruction. La logique répressive a pris le dessus, des camps d’internement sont créés, et les militaires se voient attribuer des pouvoirs de police, l’usage de la torture se généralise. Germaine Tillion fera preuve, là encore, d’un sacré sens de l’engagement et de dévouement, quand l’État Français censure la presse, et saisit à de multiples reprises le journal L’humanité. En juin 57, elle se rend avec les enquêteurs de la Commission Internationale Contre le Régime Concentrationnaire, dans les prisons et les camps en Algérie.
L’engrenage de la violence est à son comble. Exécutions sommaires, exactions, tortures, les témoignages se multiplient, Germaine Tillion entend ces mots qui glacent le sang dans la bouche de proches. « Je n’ai pas choisi les gens à sauver, précisait-elle, j’ai sauvé délibérément tous ceux que j’ai pu, Algériens et Français de toutes opinions. Je n’ai cherché ni désiré les périls représentés par l’entreprise qui me fut proposée en 1957 : exactement, c’est l’entreprise qui est venue me tirer par la main ». Très vite, elle alerte les responsables français de la société civile et de la vie politique, dont le Général De Gaulle. Elle déploie une énergie de tous les instants, pour obtenir la grâce ou le sursis des condamnés à mort, pour saisir cette petite chance de diminuer les souffrances des deux côtés, et d’amorcer une négociation de paix. Et elle aura cette phrase qui en dit long, extraite de son livre Les ennemis complémentaires : « Le terrorisme est la justification des tortures aux yeux d’une certaine opinion. Aux yeux d’une autre opinion, les tortures et les exécutions sont la justification du terrorisme ».
Outre Germaine Tillion, des voix s’élèvent pour dénoncer des pratiques barbares et inhumaines, comme celle d’Henri Alleg, journaliste, militant communiste et écrivain, qui nous a quittés l’année dernière. Son livre, La question, publié en 1958, va provoquer une véritable onde de choc. Derrida, le Manifeste des 121, Sartre, Pierre Vidal-Naquet et de très nombreux militants de base, réclament l’arrêt des combats. Ils dénoncent une guerre terrible, là où l’État Français parle d’événements. La 4ème République s’obstine, ferme les yeux, et renie ses propres principes d’autonomie des peuples et d’indépendance des États. Au bout de cet aveuglement, au terme de ce rendez-vous manqué avec une histoire en marche, un carnage à peine imaginable : côté algérien, entre 300 000 et un million de morts, pour un pays qui ne comptait à l’époque que 10 millions d’habitants. La France avait mobilisé deux millions de jeunes, et déployé 400 000 hommes. 30 000 d’entre eux ne reverront plus leur sol natal, dont 13 000 appelés emportés par une histoire qui les dépassait, et sacrifiés par un État français autiste et aveugle. Le sang a coulé et continuera de couler, après le 19 mars 1962 et l’application du cessez-le-feu : assassinats et attentats de l’OAS, massacres des Harkis que la France abandonne. 60 000 d’entre eux seront exécutés, décimés, assassinés, sans que l’État français n’intervienne. Il y a beaucoup de leçons à tirer de la guerre d’Algérie. La première est de laisser les historiens faire leur travail, pour sortir enfin du déni français qui a trop longtemps entouré ce conflit. Pour sortir aussi des guerres mémorielles, qui freinent l’émergence d’une mémoire partagée sur les deux rives de la Méditerranée. Malgré tout, il y a des signes encourageants, des signes qui ne trompent pas. La Guerre d’Algérie occupe peu à peu l’espace public, le champ d’une histoire collective et assumée. Il a fallu batailler pour imposer le 19 mars comme date officielle des commémorations de la fin de la guerre d’Algérie. C’est chose faite, là encore, enfin !, et je crois qu’il est important de fixer un rendez-vous annuel, de figer le temps, ne serait-ce qu’une journée, pour ouvrir sereinement chaque chapitre de l’histoire de notre pays, pour la transmettre aux jeunes générations. Les massacres du 17 octobre 61 sortent également de l’ombre. A Vénissieux, la ville a tenu à poser une stèle commémorative, en souvenir des nombreux Franco-Algériens qui ont perdu la vie, le 17 octobre 1961 à Paris. Il faut là encore ancrer physiquement la mémoire collective dans l’espace public.
Enfin, la nouvelle est passée un peu inaperçue, mais elle prouve que la vérité finit toujours par remonter. Il s’agit de Maurice Audin, jeune mathématicien communiste enlevé par les parachutistes français. Sa disparition a fait l’objet de nombreuses interprétations. Bavure ou exécution ? Un témoignage posthume du Général Paul Aussaresses laisserait entendre, que Maurice Audin aurait bien été exécuté pour l’exemple, sur ordre du Général Massu. Des zones d’ombres demeurent, qu’il faudra éclaircir, mais l’omerta et le déni semblent là encore se fissurer. 52 ans après l’application de l’accord de cessez le feu, signé à Évian, entre la France et les représentants du gouvernement provisoire algérien, la guerre d’Algérie reste un épisode douloureux, tragique, une épreuve à vif qui questionne notre présent. La France a le devoir de regarder son passé en face, les heures glorieuses comme les heures sombres. C’est la condition pour avancer vers des relations apaisées avec l’Algérie, sans repentance d’un côté, ni ressentiment de l’autre. L’histoire de ce conflit, et l’histoire tout court, nous montre combien elle est une matière vivante, combien les citoyens que nous sommes doivent lutter contre les réactionnaires, et contre tous ceux qui veulent la réécrire à des fins personnelles ou partisanes. L’entrée de Germaine Tillion au Panthéon est là pour nous le rappeler : il n’y a pas pire ennemi à la mémoire partagée, que le déni et l’oubli.
Je vous remercie.
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