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Le blog de Michèle Picard, maire de Vénissieux, député suppléante du Rhône
Journée de la Résistance
Mai 2013, par adminMardi 28 mai 2013.
Intervention de Michèle PICARD, à l’occasion de la Journée de la Résistance, le lundi 27 mai 2013
Il n’y a pas une résistance mais des éclats de résistance. Il n’y a pas une résistance du passé, mais une résistance d’époque, certaines périodes étant plus dramatiques que d’autres. Il n’y a jamais de résistance révolue, car si l’objet change, résister, c’est avant tout être soi, c’est un état, une attitude, un choix. Le monde de 2013, avec son cortège d’injustices révoltantes, de guerres toujours impérialistes, d’un capitalisme financier qui détruit tout sur son passage, notre monde actuel devrait être celui de toutes nos résistances.
Résistance à la résignation généralisée, que l’ordre économique veut imposer aux peuples ; résistance à la bien pensance, au politiquement correct ; résistance à la démocratie d’opinion et à l’empire médiatique, qui fabrique peurs et amalgames ; résistance au tout marchand et au tout vendable ; résistance à l’Europe des capitaux contre l’Europe des peuples, des cultures et du rapprochement des sociétés ; résistance au populisme et à la haine distillée par l’extrême droite ; résistance à l’emprise de la finance sur le politique ; résistance aux forces de l’argent qui veulent bâillonner les États et les politiques sociales et humaines. Résister maintenant, avant que la situation n’empire, résister en temps de paix, c’est une chance, une chance que tous les hommes et les femmes de notre pays, épris de liberté et épris de la République, n’ont pas forcément connue.
2013-1943, deux dates qu’il ne faut pas hiérarchiser ni comparer, deux dates pour se rappeler. A une différence près, mais elle est de taille : eux n’avaient pas le choix de l’engagement, c’était une question de vie ou de mort, nous, nous l’avons encore. Il y a 70 ans, le 27 mai 1943, Jean Moulin, délégué du Général De Gaulle, et ses deux collaborateurs, Pierre Meunier et Robert Chambeiron, ouvrent une réunion qui va marquer l’histoire de notre pays.
Ils sont entourés des huit grands mouvements de résistance, des deux grands syndicats, la CGT et de la CFTC, et des représentants de six partis politiques : le PC, la SFIO, les Radicaux, les démocrates-chrétiens, l’Alliance démocratique, la Fédération républicaine. Cette réunion se tient dans la clandestinité et dans un petit appartement parisien, au 48 rue Dufour dans le 6e arrondissement. 19 personnes autour d’une table, gauche et droite confondues, 19 personnes activement recherchées par la France de Pétain, par la France des milices, par la France qui, en cédant à l’occupant, s’est reniée et a bafoué ses principes universels : 1789, 1848, 1936. Ils ont choisi très tôt de résister : contre la haine, la xénophobie et l’antisémitisme du 3e Reich, contre l’occupant, et contre la France elle-même, celle de Pétain et de Laval, celle qui en collaborant a commis l’irréparable.
De toutes les résistances qui ont changé le cours de notre histoire et le cours des siècles, 39-40 occupe une place centrale, une place à part et unique. Ces hommes et ces femmes, entrés dans l’histoire ou restés anonymes, ont tout simplement permis à notre pays de renouer avec lui-même, avec ses valeurs, avec la loi de la République. Ils ont remis le fleuve dans son lit. Il suffit ainsi d’aller sur le plateau du Vercors, de pousser les grilles des cimetières, et de s’arrêter au milieu des tombes, pour prendre conscience du sacrifice et du lourd tribut payé pour la liberté.
Ils ont 17 ans, 20 ans, 24 ans, 30 ans, ils sont dans la fleur de l’âge, et la plupart ont été fauchés lorsque le maquis, après des années de combat, a fini par céder en 44, sous le feu des allemands, et sous le sale travail des milices françaises. Le commandant Pierre Tanant écrivait ces mots, je le cite : « Il est quelque chose de plus important que de savoir si le Vercors est justifiable sur le plan stratégique, c’est de savoir s’il l’est sur le plan moral… ». « Sur ce vaste plateau, des Français de toutes origines et de toutes opinions ont su se grouper et s’unir avec la seule ambition d’échapper à la servitude… ».
Si j’ai ouvert cette parenthèse d’une jeunesse résistante, c’est parce que l’on retrouve exactement cet état d’esprit au cœur même des objectifs du CNR. Organiser la résistance et la libération, et surtout, dès 43, jeter les fondations de la France retrouvée, pour créer le modèle social dans lequel, 70 ans après, nous vivons encore. A la résistance physique s’est ajoutée la résistance politique, au combat quotidien s’est ajouté un projet de société : à double titre, l’œuvre du CNR est exceptionnelle.
J’en parlais à l’occasion de la soirée organisée au cinéma Gérard Philipe par l’ANACR, et je crois nécessaire de répéter à nouveau l’héritage du CNR. C’est le ciment du collectif, le socle d’une société plus juste, plus solidaire, une société de progrès. Une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ; un plan complet de sécurité sociale ; la reconstitution d’un syndicalisme indépendant ; le droit au travail et le droit au repos ; la garantie du pouvoir d’achat national et de salaires dignes. Et puis il y a ce qui découle et résulte du CNR.
21 février 1946 : la loi des quarante heures hebdomadaires, adoptée par le Front Populaire en 36, est rétablie. 28 mars 1946, vote de la loi sur la nationalisation de l’électricité et du gaz. 25 avril, extension du nombre et des attributions des comités d’entreprises. 26 avril 1946, généralisation de la Sécurité sociale, incluant la Retraite des vieux travailleurs. Souvenons-nous d’où vient cette idée lumineuse qu’on appelle la Sécurité sociale.
Elle vient d’un rêve, écrit noir sur blanc dans le programme du CNR de mars 1944 : « Nous, combattants de l’ombre, exigeons la mise en place d’un plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail avec gestion par les intéressés et l’État. ». La modernité sociale du programme, on la doit justement à Pierre Villon, rédacteur du projet et député communiste aux deux Assemblées nationales constituantes, puis à l’Assemblée nationale dès 1946.
Et c’est Ambroise Croizat, ministre communiste, qui le rendra effectif en étant le fondateur de la sécurité sociale et du système de retraites en France, à partir des ordonnances d’octobre 1945. Enfin, n’oublions pas dans cet ensemble de mesures progressistes, le droit de vote accordé aux femmes. Cette journée de la résistance, il est naturel de la dédier et de la consacrer au Conseil National de la Résistance, né il y a 70 ans exactement.
Si nous avons évoqué l’esprit, il nous faut aussi parler des hommes, de ces hommes qui, comme le dit si joliment Régis Debray, « ont permis à la France de traverser ces 60 dernières années en première classe avec un ticket de seconde ». En à peine un an, nous avons perdu des figures illustres et des guides du présent irremplaçables. Témoins-acteurs et passeurs : pour ceux qui ont eu la chance de les croiser ou de les lire, de les interroger et de les écouter, nul ne peut oublier la leçon de vie, et la leçon d’humilité, qu’ils nous ont transmises.
Raymond Aubrac, Lise London, Stéphane Hessel, François Jacob, et plus près de nous encore, Charles Jeannin, viennent tous de nous quitter. Les rangs s’éclaircissent, il ne reste plus ainsi que 22 Compagnons de la Libération. Nous perdons plus que des voix, des gestes, des corps et des visages, nous perdons une mémoire. Nous perdons ce qui a bâti notre présent, et ce qui l’a éclairé. Nous allons célébrer l’an prochain le 100e anniversaire de la guerre 14-18, sans la parole de ceux qui l’ont vécue.
Il en sera de même bien sûr avec la seconde guerre mondiale, avec les camps de l’innommable, avec un conflit qui a brisé le 20e siècle en deux, et touché à l’essence même de la civilisation. 39-40 n’est pas un conflit comme les autres, il est celui où un régime xénophobe, prenant le pouvoir démocratiquement il faut le rappeler, a mis en place l’industrialisation de la mort. Résister contre l’oubli, c’est d’ores et déjà notre devoir, impérieux, nécessaire, auquel il faut penser sans relâche.
J’aimais ce que Charles Jeannin répétait inlassablement, je le cite : « Certains diront : à quoi bon ? Mais les déportés ne peuvent pas oublier et le pourraient-ils, qu’ils n’en auraient pas le droit. Ils savent que le nazisme n’est pas mort, que le crime peut encore se produire. Oublier, ce serait trahir le serment que nous avons fait au jour de notre libération : plus jamais ça ! ». Voilà ce que nous laissent ces résistants disparus : transmettre, aux jeunes générations notamment, cette mémoire brûlante, toujours vive, cette mémoire qui, si on l’ignore un jour, créera les conditions d’une répétition du pire.
Il ne faut pas prendre à la légère cet héritage, et considérer la partie gagnée. 67 % des 15/17 ans déclarent ne pas avoir entendu parler de la rafle du Vel d’Hiv, et plus de 4 Français sur 10. Ces chiffres, qui font froid dans le dos, devraient, à plus d’un titre, nous interpeller et nous réveiller. Des récentes tentatives de réhabilitation ici ou là, je pense notamment à Louis Renault, nous montrent combien les tentations de réécrire l’histoire restent présentes.
Enfin, il faudrait être aveugle pour ne pas s’apercevoir de la montée des populismes et de l’extrême droite, en France et partout en Europe, un péril nationaliste réel et ancré, un péril non pas de demain mais d’aujourd’hui et face à nous. Ces éléments doivent nous faire réfléchir sur le sens de la transmission, à l’heure où l’info-spectacle déforme la réalité et la signification des choses, à l’heure où le numérique et les réseaux sociaux bousculent et précipitent les méthodes d’apprentissage.
Je le crois, ces questions-là sont de toute première importance si l’on veut agir et renforcer la mémoire partagée, la seule à même de réconcilier les générations et les peuples. C’est pour cette raison que je tenais à ce que de jeunes élus du conseil municipal enfants assistent à certaines commémorations, afin de vivre le présent et imaginer le futur, à partir de racines solides et de points d’origines concrets. C’est ce qu’ont accompli les résistants du CNR, leur engagement a formé un préambule à des temps meilleurs, et c’est je crois la plus belle leçon, inoubliable, qu’ils nous ont donnée.
A nous de prendre le relais, à nous de défendre ce qu’ils sont allés chercher au fond d’eux-mêmes : le rêve d’une société solidaire, dans un monde en paix.
Je vous remercie.
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