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Le blog de Michèle Picard, maire de Vénissieux, député suppléante du Rhône
68e anniversaire de la libération de Vénissieux,
Septembre 2012, par adminLe 3 septembre 2012
Retrouvez l’intervention de Michèle PICARD, à l’occasion du 68e anniversaire de la libération de Vénissieux, le dimanche 2 septembre
Le 2 septembre 44, sur la façade de l’ancien hôtel de ville, aujourd’hui maison Henri Rol-Tanguy, le comité de libération de Vénissieux hisse le drapeau tricolore. C’est plus qu’un geste, c’est une renaissance. C’est plus que la fin d’une dramatique histoire, c’est un acte fondateur, car Vénissieux s’est libérée d’elle-même par un mouvement d’insurrection populaire, avant l’arrivée des troupes alliées. Il y a dans cette anticipation de la libération, tout un concentré de l’identité vénissiane, comme si les luttes ouvrières dans les usines, comme si la volonté de dire non, formait la mémoire commune de notre population, de génération en génération. Les combats changent, se succèdent, mais l’élément constitutif d’être vénissian reste intact.
Ville solidaire, ville populaire, ville cosmopolite, ville ouvrière, en temps de guerre comme en temps de crise, Vénissieux montre la même détermination, la même capacité à rebondir, à ne pas céder, à lutter contre l’oppresseur ou le plus puissant. C’est, je le crois, la plus belle des leçons que nous devons tirer de ce 2 septembre : être vénissian en 44, c’est être vénissian en 2012. Dans l’esprit, dans les actes, dans nos combats d’aujourd’hui, nous faisons toujours vivre le courage qu’ils ont eu, nous portons modestement la voix de la libération, que nos aînés ont payée au prix fort. Au prix du sang, au prix de leur vie, au prix de la Résistance avec un grand R. Est-ce un hasard si Vénissieux s’est libérée d’elle-même, je ne le crois pas ! Est-ce un hasard, si dans notre commune, des enfants juifs ont été sauvés d’une mort annoncée, fin août 42, je ne le crois pas.
Est-ce un hasard, si depuis toujours, nous luttons contre les injustices sociales, contre le règne du plus puissant, contre l’exploitation de l’individu par le capitalisme, aux dépens de son émancipation, je ne le crois pas. Non, il y a un fil rouge, et ce fil rouge d’une histoire en mouvement, toutes proportions gardées, s’appelle Vénissieux. Bien sûr, ce 2 septembre 44 n’est pas né tout seul, dans le calme et la facilité. Car les Vénissians de l’époque, comme tous les résistants de France, ont affronté le pire du 20e siècle : le 3e Reich, la lâcheté, la soumission et la collaboration de Vichy. Pensons ensemble aux victimes malheureuses des bombardements alliés. 29 morts, 62 blessés, et plus de 600 maisons à l’état de ruines ou endommagées : Vénissieux porte les stigmates de la guerre.
Pensons surtout à tous ceux qui ont entretenu le feu de l’espoir, le feu de l’insoumission, le feu de la liberté. Ceux qui ont rejoint le maquis d’Azergues, ceux qui, tels ces cinq patriotes, sont tombés sous les balles allemandes, le long du mur Berliet. Courage partagé des ouvriers et salariés, qui affrontaient un patronat bien trop souvent à la solde de Pétain et de l’Allemagne nazie. Ici à Vénissieux, la famille Berliet, tout comme Louis Renault, allait commettre l’irréparable : pactiser avec l’ennemi, et malgré le temps passé, toutes les tentatives actuelles de réhabilitation doivent rester vaines, car on ne réécrit pas l’histoire, on l’assume. Grand capitaine industriel, Paul Berliet, qui vient de nous quitter, devait savoir au fond de lui-même, que l’encre des années noires de la France reste et restera indélébile. A la SIGMA, à l’ex-usine Maréchal, futur Veninov, à la Société des Electrodes, à la SOMUA, il fallait oser s’opposer à la mise en place du STO, aux ordres de réquisition, quand le préfet de région n’attendait qu’une chose : réprimer le mouvement syndical, le mouvement social, exécuter, condamner ou déporter les leaders communistes, socialistes et opposants à la droite Pétainiste.
Non, la libération de Vénissieux n’est pas née toute seule, elle est le fruit d’un sentiment de révolte et de courage, parmi les cheminots, parmi les travailleurs, parmi les habitants, les personnalités et les anonymes. Le fruit de leur combat, c’est cette ville dans laquelle nous nous déplaçons, dans laquelle nous marchons, libres et fiers de vivre ici, à Vénissieux.
Comme le rappelle l’historien Benjamin Stora : « la fragmentation des mémoires s’est considérablement aggravée ces dernières années ». Les commémorations ne sont pas des exercices d’autosatisfaction. Entre passé et présent, elles doivent servir de traits d’union, de passerelles entre les différentes générations, de courroies de transmission. Elles doivent servir à fédérer les mémoires, à une époque où le repli identitaire, le repli communautaire favorisent, comme le dit Benjamin Stora, la fragmentation et l’instrumentalisation de l’histoire.
De la libération de Vénissieux, de ce 2 septembre 44, quelles ramifications, quels prolongements nous portent sur les berges du temps présent. C’est cette concordance des temps, jamais tout à fait identique, mais jamais tout à fait non plus inexacte, qui doit résonner dans l’esprit de chacun. L’histoire ne sert pas les mêmes plats, mais on peut y trouver les mêmes ingrédients.
Si le passé ne résonne pas dans le présent, alors les périodes obscures peuvent renaître. C’est la raison pour laquelle le conseil municipal enfants, que nous allons mettre en place, est un outil de civisme et citoyenneté légitime. Et c’est la raison pour laquelle je crois nécessaire que les jeunes vénissians assistent aux commémorations, pour qu’ils sachent que ce présent qu’ils vivent, est attaché à un passé qu’ils n’ont pas connu, mais dont ils sont, peu ou prou, les héritiers.
Ce devoir de transmission est non seulement nécessaire, mais il est devenu, je le dis très clairement, un enjeu de société. Rendez-vous compte de ces sondages effarants, et très inquiétants : 67% des 15-17 ans, 60% des 18-24 ans, et 57% des 25-34 ans ne connaissaient pas les rafles du Vél d’Hiv, dont on vient de marquer le 70e anniversaire.
Les obscurantismes s’engouffrent dans les ignorances, et les sociétés de l’information ne font pas les sociétés de la connaissance, mais plutôt de la méconnaissance.
Il ne s’agit pas de juger la jeunesse actuelle, pour preuve, 88% des jeunes de 18 à 24 ans « considèrent que la transmission de la mémoire de la Shoah est importante ». C’est dans la nature même de nos sociétés, dans ces canaux de transmission, que les liens du savoir se sont dilués.
On m’objectera aussi que l’occultation volontaire des pages sombres de l’histoire de la France, de Vichy au 17 octobre 1961, ne favorise pas une prise de conscience collective et partagée des plus jeunes d’entre nous. Prépondérance de l’écran sur l’écrit, primauté de l’instant sur l’enracinement, tout se passe comme si les 15-25 ans avaient plus de savoirs, mais moins de connaissances. On sait plus, mais pas forcément mieux. On mesure également les effets et les dégâts des politiques libérales menées depuis des décennies.
A force de dénigrer les sciences humaines, à force de dégrader les moyens et les conditions de travail dans l’éducation nationale, à force de faire l’apologie de l’individualisme, de la réussite aux dépens des autres, de l’argent facile et du tout rentable, on fabrique une société de l’oubli et de l’amnésie. C’est la dérive dont parlait Guy Debord dans Commentaires sur la société du spectacle, ce moment, et nous y sommes, « où il est devenu matériellement impossible de faire entendre la moindre objection au discours marchand ».
Pourtant, le monde qui nous entoure n’est pas si éloigné du monde qui a entouré nos aînés dans les années 30. Crise bancaire de 29, crise économique, montée des nationalismes, chômage de masse, les mêmes logiques sont à l’œuvre. L’erreur à l’époque était de ne pas avoir pris au sérieux Adolf Hitler, d’avoir considéré le 3e Reich comme un hoquet dérisoire de l’histoire. Même Raymond Aubrac le reconnaissait : « on ne l’a pas cru, on a pensé que c’était quelque chose de passager, que ce n’était pas solide, un peu risible ».
Ce défaut de vigilance va mener le vieux continent dans la pire tragédie de la société des hommes.
Mais aujourd’hui, ne faisons-nous pas preuve de la même négligence. En Hongrie, en Suisse, en Grèce, aux Pays-Bas, en Norvège, partout l’extrême droite et ses dérivés néo-populistes gagnent du terrain. Les actes antisémites, les agressions xénophobes se banalisent. Et pendant ce temps-là, le capitalisme financier, dans son arrogance et ses profondes injustices, crée des rancœurs, des rejets, braque les communautés, voire les peuples, les uns contre les autres.
En France, les dernières élections ont montré un véritable enracinement du Front National, en milieu rural, dans les zones péri-urbaines, qui s’étend au-delà des « fiefs » traditionnels.
Sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, tout au long du quinquennat, et lors d’une campagne présidentielle ignoble à plus d’un titre, l’UMP n’a cessé de glisser vers les thèmes réactionnaires de l’extrême droite. Les discours qui ont été tenus par l’ancien président de la république, ont ouvert des brèches dont on risque de payer les conséquences, dans un proche avenir. Laïcité bafouée, c’est le discours de Latran de Nicolas Sarkozy. Le continent africain rabaissé et humilié, c’est le discours de Dakar.
Une communauté ciblée et stigmatisée, c’est le discours de Grenoble. L’absurdité morale et historique « d’une civilisation supérieure », c’est le fait d’un Ministre de l’Intérieur. Quand un président candidat ose affirmer, à des fins électoralistes, que le Front National est compatible avec la République, il légitime le pire, et ouvre une brèche sans précédent qui fragilise la démocratie. L’extrême droite locale a fait de Lyon, un laboratoire de toutes ses mouvances possibles, de Maurras à Golnisch, et j’en passe.
Ici même à Vénissieux, Yvan Benedetti, conseiller municipal et président de l’œuvre Française, multiplie ses interventions rétrogrades, contre le droit des femmes, contre les immigrés….
Ces idées, ces discours de haine et de rejet, ne doivent pas être banalisés, il ne faut leur laisser aucun espace, aucune impunité, car lorsque la machine s’emballe, il est déjà trop tard. Nos aînés l’ont payé au prix fort, dans le drame et la souffrance, et le moins qu’on puisse leur rendre, c’est d’avoir retenu la leçon.
Je vous remercie.
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