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Le blog de Michèle Picard, maire de Vénissieux, député suppléante du Rhône
17 octobre 1961
Octobre 2011, par adminRetrouvez l’intervention de Michèle PICARD à l’occasion du 50ème anniversaire de la journée du 17 octobre 1961, à la mémoire des nombreux Algériens tués lors des manifestations pacifiques du 17 octobre 1961, lundi 17 octobre 2011.
Combien de victimes recensées ? Des dizaines ou des centaines ? Quel est le rôle de l’OAS dans cette journée et nuit du 17 octobre ? Maurice Papon, préfet de police, a-t-il agi seul, ou avec le blanc-seing de Matignon et du Premier ministre de l’époque, Michel Debré, pro « Algérie française » ? D’où partent les rumeurs de l’assassinat de cinq policiers par des Algériens, qui ouvriront la chasse au faciès dans les rues de Paris : liquidation, tortures, corps jetés dans la Seine ou empilés, frappés et blessés, au Palais des Sports, ou encore au Stade Pierre de Coubertin.
Que s’est-il passé exactement, dans la cour de la préfecture de police de l’île de la Cité, où parmi les 1200 détenus, reçus et traités très durement, 50 d’entre eux auraient trouvé la mort ? Quelle attitude a adoptée le général de Gaulle, pendant ce déchaînement de haine et de violence ? Dans ses mémoires, nulle trace de cette journée du 17 octobre.
Pourquoi une commission d’enquête parlementaire, exigée par des députés, n’a-t-elle jamais vu le jour, dans la foulée de ce 17 octobre, sinistre et tragique ? Pourquoi aucune poursuite n’est engagée, alors que la presse parle de massacre, alors qu’on demande des explications à Maurice Papon, lors de la séance du conseil municipal du 27 octobre à Paris ? Explications auxquelles il répondra par un lénifiant et injuriant : « la police parisienne a fait ce qu’elle devait faire ».
50 ans après, toutes ces questions sont toujours d’actualité. Mais si elles restent en suspens, cela nous prouve une chose : le travail de l’histoire, le travail de la mémoire partagée n’a pas été fait. Certains éléments remontent à la surface, mais il en reste beaucoup d’autres à sortir de l’ombre, à passer au tamis de l’histoire. Il faut bien savoir qu’aujourd’hui, en 2011, certaines archives relatives au 17 octobre 1961, demeurent encore incommunicables.
J’ouvre une courte parenthèse à ce sujet, mais je crois nécessaire de repenser l’accès aux archives, afin de les démocratiser en profondeur. Les chercheurs, les historiens se heurtent à des interdits décennaux, centennaux, des interdits qui retardent, repoussent, et finalement fragilisent l’appropriation collective de l’histoire par les citoyens. Au lieu d’emprunter le chemin de la transmission des connaissances, le 17 octobre 1961 est revenu sur le devant de la scène française, à l’occasion du procès de Maurice Papon, pour son rôle pendant l’Occupation ! Un ricochet de l’histoire qui en dit long, et qui prouve une nouvelle fois, que le 17 octobre a été occulté de la mémoire collective.
Il ne s’agit pas de hiérarchiser les faits, ni même de comparer la nature de l’Histoire, entre l’Occupation d’un côté et la Guerre d’Algérie de l’autre, mais de mettre le doigt sur les absences de lisibilité, sur les amnésies entretenues, les silences, et les rétentions d’informations que les autorités ont entretenues depuis 50 ans. Il faut replacer cette journée du 17 octobre dans son contexte, alors même que le gouvernement français, et le gouvernement provisoire de la République d’Algérie, entament la phase finale des négociations, et que des deux côtés bien sûr, on a tout intérêt à y entrer en position de force. Il faut aussi, et maintenant nous avons le recul nécessaire pour le faire, arrêter le flot de l’histoire, et la succession d’événements tragiques qui se télescopent, lesquels rendaient toute lecture confuse à l’époque : massacre du 17 octobre 1961 ; tuerie du métro Charonne le 8 février 1962 ; fusillade de la rue d’Isly le 26 mars 1962.
Pourquoi j’insiste sur ce devoir de mémoire partagée, et donc du rôle des porteurs de mémoire que sont les historiens, sociologues, philosophes, car c’est la seule voie qui s’ouvre pour sortir du mémoriel à fleur de peau, et de la logique de censure de l’Etat. Mettre les choses à plat et en perspective, peser les responsabilités de chacun, et cesser, surtout, cesser le déni de réalité qui ne fait qu’entretenir les passions, les clivages, et les rancœurs. Contrairement à ce que dit Nicolas Sarkozy, et à ce que pense une majorité de la droite, ouvrir les pages noires de notre histoire, et le 17 octobre tout comme la guerre d’Algérie en font partie, ce n’est pas se livrer à la repentance, c’est exiger une justice et un devoir de mémoire enfin partagés.
Comment une République pourrait-elle se tourner vers son avenir, alors que dans le même temps, elle cache certains épisodes de son passé ? Aucune société ne se construit sur le déni. Ce refoulement de l’Histoire fait le lit des sophistes et des révisionnistes, il fait le lit du morcellement et des extrémistes de toutes sortes, et de l’extrême droite en particulier. Au lieu de créer les conditions de relations sereines et apaisées, la confiscation d’un pan d’histoire, même si elle est douloureuse, ajoute de la défiance à la défiance, de la suspicion à la suspicion, de l’incompréhension à l’incompréhension.
Le 17 octobre 1961, justement parce qu’il n’occupe pas la place qu’il devrait occuper dans l’espace de la collectivité, reste toujours à vif, à fleur de peau. Jamais les débats n’ont dépassé ce stade-là, depuis maintenant près de 50 ans. Parce ce que les rôles des uns et des autres n’ont pas été déterminés, parce que la justice n’a pas pu faire son travail, parce que la réalité d’un massacre a été volontairement effacée.
Il y a eu les silences, les non-dits, les amnésies, puis l’heure des polémiques autour des travaux des historiens, la querelle de chiffres entre Einaudi et Brunet, auteurs d’ouvrages sur le 17 octobre 1961. Il y a dix ans, alors que Bertrand Delanoë inaugurait une plaque commémorative sur le pont Saint-Michel, aucun représentant de l’opposition n’était présent. A l’Assemblée nationale, le secrétaire d’État à la Défense chargé des anciens combattants, Jacques Floch, évoqua notamment à propos des événements du 17 octobre, « un couvre-feu appliqué sur la base du faciès ». La plupart des députés du RPR, et de Démocratie libérale, ont alors quitté l’hémicycle. Sur le fond, cette date et cette tragédie n’appartiennent pas plus à des logiques communautaires, qu’à des discours réactionnaires, au mémoriel revanchard qu’à une amnistie d’Etat.
J’insiste sur ce point : le 17 octobre n’est pas l’histoire d’un parti, d’une mouvance. Le 17 octobre n’est la propriété de personne, il appartient à l’histoire des peuples français et algériens réunis. Et c’est aux citoyens que nous sommes, des deux côtés de la méditerranée, qu’il faut restituer la mémoire de cette tragédie. Ce 50ème anniversaire que nous commémorons aujourd’hui, la ville de Vénissieux y tient tout particulièrement. Une stèle, installée dans le parc Louis Dupic, vient marquer le souvenir des Vénissians, à l’égard des nombreux Franco-Algériens qui ont perdu la vie, le 17 octobre 1961 à Paris, mais aussi lors des deux journées de répressions sauvages et violentes, qui ont suivi.
Ce 50ème anniversaire intervient dans un cadre particulier, un cadre d’espoir que le Printemps arabe a créé, et continue de créer sous nos yeux. Nul ne sait sur quoi il débouchera, mais nul ne doit nier les aspirations démocratiques qu’il porte en lui. Que ce soit au cœur de notre histoire, ou dans nos relations avec les pays maghrébins, arabes et méditerranéens, la fin d’un post-colonialisme qui ne voulait pas dire son nom, est en route. Nous avons là une opportunité historique, pour repenser les rapports Nord-Sud, pour cesser d’entretenir des rapports troubles, aussi bien avec notre histoire qu’avec le présent. Trop longtemps, la diplomatie occidentale a traité d’Etat à Etat, voire d’Etat à régime autocrate, corrompu et autoritaire, en édulcorant la question centrale : celle d’une diplomatie de peuple à peuple. Pour prendre en compte les aspirations sociales, démocratiques, éducatives, sanitaires, dont chaque peuple a besoin.
La politique des intérêts commerciaux, des carnets de commandes, et de l’expropriation des ressources naturelles, qui se perpétuent en Irak, en Afghanistan, ou encore aujourd’hui en Libye, ne fait qu’attiser l’incompréhension et le rejet. C’est cette page aussi qu’il faut tourner, et c’est ce nouveau chapitre qu’il faut imaginer et écrire. L’histoire de la décolonisation, c’est l’histoire d’une 4ème République, qui ne veut pas voir ce qui a changé autour d’elle, c’est l’histoire d’un rendez-vous manqué, qui finira dans la tragédie, les guerres et les bains de sang.
De Germaine Tillion au Manifeste des 121, des militants du PCF, du parti communiste algérien aux progressistes de notre pays, des sensibilités, des personnalités et des acteurs de terrain, souvent en avance par rapport à leur propre direction, avaient compris que personne ne pouvait s’opposer à l’autodétermination des peuples. Tous sauf une, la République, qui, après l’humiliation en Indochine, s’est accrochée à ce poison mortel « d’une Algérie française ».
Du 17 octobre 1961 et des heures noires d’une nation, nous savons tous ici que c’est en regardant en face les erreurs du passé, que nous ferons avancer la cohésion sociale, et la solidarité entre les peuples. Avant de faire la paix avec les autres, tout pays doit faire la paix avec lui-même, avec sa propre histoire. Et le socle d’un avenir apaisé, il se trouve dans cette exigence d’un devoir de mémoire, lucide et partagé, enfin restitué aux citoyens français et algériens.
Je vous remercie.
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