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Le blog de Michèle Picard, maire de Vénissieux, député suppléante du Rhône
Jorge Semprun, des mots pour (re)vivre
Juin 2011, par adminLe 9 juin 2011
Tout combattant finit un jour ou l’autre par déposer les armes. Pour Jorge Semprun, la guerre, toutes les guerres se sont tues à l’âge de 87 ans, à Paris ce 7 juin. Avec sa disparition, nos sociétés perdent un grand écrivain et une mémoire vive, tranchante, angoissante, la mémoire du chaos que fut le 20ème siècle. Un témoin et un acteur aussi, pour lequel l’activisme politique relevait de l’ordre « de la création pure », comme il le disait. Jamais peut-être l’empreinte de l’Histoire n’avait marqué d’aussi près le fil d’une vie, et forgé l’esprit de combat d’un individu. Enfant de la guerre, homme de la guerre, passeur de la paix. Trois étapes, mais une seule vie qui croise le fer contre l’Espagne de Franco, contre l’Allemagne totalitaire d’Hitler, contre l’innommable de Buchenwald. Communiste, Républicain, espagnol dans sa fougue, français dans l’usage de la langue, allemand dans sa façon raisonnée de penser le chaos, Jorge Semprun laissera des plumes et des mots dans ses combats, et même plus dans le plus effrayant d’entre eux : l’expérience de l ‘humiliation, de la perte de l’humain, de la déportation à Buchewald, de 1943 à 1945.
C’est ce vertige de ne plus savoir poser des phrases sur la chose vécue, l’odeur des chairs brûlées collées éternellement à la peau du survivant, qui m’a profondément marquée à la lecture de son livre, L’écriture ou la vie. Exorciser la mort par la vie, oui mais comment y parvenir, lorsque les mots vous renvoient à l’innommable et vous poussent dans le dos pour rechuter, lorsque les phrases restent muettes, blanches, perchées au dessus de Buchenwald, ne voulant pas, ne pouvant pas y pénétrer à nouveau. Voilà comment la seconde guerre mondiale est devenue, pendant, mais aussi longtemps après, la guerre personnelle de Jorge Semprun. Une incubation de l’écriture qui aura pris des dizaines d’années, plus comme une libération qu’un soulagement, comme un hymne à la vie qui reprend malgré tout. Au bout du chemin, malgré un point de départ qui s’appelle Buchenwald, il y a cette possibilité de (ré)exister : c’est la leçon d’espoir que Jorge Semprun est allé chercher au fond de lui-même en remettant des mots sur une douleur et un effroi qui ne se communiquent pas.
Le sceau de l’Histoire, porté aussi bien comme un fardeau que comme une raison de vivre et d’espérer en témoignant, en partageant, ce sceau de l’historie qui renvoie, bien que les chemins et l’écriture ne soient pas identiques, à Primo Levi. Dans la Montagne blanche ou encore Le mort qu’il faut, la grande histoire embrassera à nouveau jusqu’au vacillement l’écriture du doute et de la contradiction propre à Jorge Semprun. « La vie en soi, pour elle-même, n’est pas sacrée : il faudra bien s’habituer à cette terrible nudité métaphysique. » Les lecteurs que nous sommes devront s’habituer, eux, au vide laissé par cet homme séducteur et intérieur. Puisse ce combattant de lettres et de guerres et ce résistant engagé reposer enfin en paix avec lui-même.
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