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Le blog de Michèle Picard, maire de Vénissieux, député suppléante du Rhône
66e anniversaire de la capitulation sans condition des armées nazies
Mai 2011, par adminRetrouvez l’intervention de Michèle Picard à l’occasion du 66ème anniversaire de la capitulation sans condition des armées nazies, dimanche 8 mai 2011
La première a été baptisée de « Grande Guerre ». Des hommes, déjà enterrés dans des tranchées, des hommes de glaise et de sang attendent la mort, entendent le son des canons, le bruit de la mitraille, gagnent 6 mètres de terrain pour en perdre 10 le lendemain. Dans le meilleur des cas, ils en sortiront hagards, la gueule cassée, le moral brisé, un membre amputé ici ou là. C’était la Grande Guerre.
Armistice, traité de Versailles, les années 20, les années folles, mais pas pour tout le monde. Sous la paix rampent et prolifèrent la haine, l’humiliation et les germes du pire régime de l’histoire. C’était la Grande Guerre, ce sera une Petite Paix. 1920 : Le Parti national-socialiste des travailleurs allemands est créé et Hitler présente le Programme en 25 points à Munich. 1924-1925 : écriture de Mein Kampf.
Des thèses circulent, fleurissent, mais ce sont les fleurs du mal : supériorité de la race aryenne ; pangermanisme et expansionnisme allemand à travers le concept « d’espace vital » et les visées à peine voilées sur les territoires de l’Europe de l’Est. Des cibles, des boucs-émissaires apparaissent déjà : l’eugénisme actif qui vise à éliminer toutes les personnes handicapées, les juifs exclus de la citoyenneté allemande, les peuples inférieurs qui doivent être asservis aux peuples supérieurs.
Certains voient ce qui rampe dans l’ombre. « Ou bien je me trompe vraiment beaucoup, ou bien tout cela ne se terminera pas bien. Hitler est un homme à enjamber des cadavres et à fouler aux pieds tout ce qui est en travers de son chemin », prévient le futur pape Pie XII, en 1929, avant que le Vatican ne s’enferme lui-même dans une coupable neutralité. Le Maréchal Lyautey s’alarme : « Tout Français doit lire ce livre ».
1933 : Hitler entre à la Chancellerie, la proclamation du 3ème Reich aura lieu le 15 mars. En Italie, depuis la marche sur Rome en 1922, Mussolini a déjà posé sa main fasciste sur le pouvoir. Dans les deux pays, la chasse aux organisations syndicales, aux communistes, à toute forme d’opposition entre vite en œuvre. Et dans les deux pays, les milieux industriels et économiques rallient cette thèse : mieux vaut le nazisme que le bolchévisme et l’émancipation des classes ouvrières. L’histoire, la pire histoire est en route, il est déjà trop tard.
Grande Guerre, petite paix, mais comment nommer la suite ? Guerre totale, Guerre de masse, de terreur, Guerre nihiliste, guerre de négation de l’homme. Ce qui se joue en 39-40 est au-delà du combat, presque au-delà même des victimes, des blessés, des victoires ou des défaites : c’est l’histoire de la civilisation humaine, de l’homme en tant qu’espèce, qui est pulvérisée, massacrée, anéantie. A ceux qui auraient la mémoire courte, à ceux qui n’entendent pas les discours de repli identitaire actuels, voilà comment et où mène l’extrême droite : du rejet, du clivage, de la recherche du bouc émissaire pour passer à la haine, à l’abject, à la nausée ! En six ans, 55 millions de morts. Par jour, 25 000 disparus. La shoah, la solution finale : de 5 à 6 millions de juifs, soit les 2/3 de la population juive européenne, décimés dans les camps de l’horreur, dans les camps de l’ignoble, dans les camps d’une honte indélébile.
En France : 600 000 morts, civils et militaires, résistants ou anonymes. L’URSS, sur laquelle s’acharnent Hitler et le 3ème Reich : 21 millions de victimes, je dis bien, 21 millions de morts, dont 7 millions et demi de civils. Grande-Bretagne : pas loin de 400 000 morts. Les Etats-Unis perdent 300 000 soldats, loin de leurs familles et de leur terre, sur le sol du vieux-continent et en Extrême-Orient. Dans l’antichambre de l’enfer, des expériences médicales et scientifiques se poursuivent sur des corps vivants, des corps de prisonniers : des homosexuels et des femmes tsiganes furent stérilisés dans les camps, des prisonniers soumis aux effets du phosgène et du gaz moutarde pour tester des antidotes possibles. Au quotidien, c’est la soumission, l’humiliation, l’asservissement, la négation de l’individu réduit à une condition de sous-être.
Août 45 deux bombes, d’un « nouveau genre », tombent sur Hiroshima et Nagasaki : 300 000 morts, et de très très nombreuses personnes qui décéderont des suites d’un cancer, dans les mois, les années et les décennies qui suivent. Je crois, à ce titre, que l’on ne mesure pas le traumatisme, conscient ou inconscient, que le peuple japonais doit connaître aujourd’hui, rattrapé à nouveau par la tragédie de l’atome. Ce même peuple qui a payé tragiquement la politique expansionniste, nationaliste et impérialiste d’HiroHito, qui fit des millions de morts en Chine. Ecoutons à ce titre ce témoignage d’une jeune mère de famille, un 6 août 45 à Hiroshima. « Soudain, je sentis une puanteur de soufre dans l’air. « Ça doit être une bombe incendiaire… » Machinalement, avec le linge que je portais à la ceinture, j’essuyai vigoureusement mon nez et ma bouche. C’est alors que, pour la première fois, j’éprouvai une sensation anormale au visage. Quand je sentis la peau de mon visage se détacher d’un seul coup, je tressaillis. « Quelle horreur ! Cette main… ». La peau de ma main droite, de la deuxième phalange au bout des doigts, partait en lambeaux. Et la peau de toute la main gauche se détachait, elle aussi, comme un gant. » Oui, en 39-40, ce sont souvent les peuples et les civils qui ont été les victimes et les otages des régimes totalitaires et nationalistes.
Le cauchemar, l’horreur absolue, la planète entière qui s’embrase et qui se jette dans les bras de la barbarie. Et tous ces noms de ville, de champs de bataille, qui, 66 ans après, glacent le sang. Toujours et encore. Nankin, Stalingrad, Buchenwald, Auschwitz, Varsovie, Salo, Guernica, Dresde, Vienne. Et tous ces noms propres, ces noms d’hommes, Si c’étaient des hommes, comme nous le dira plus tard Primo Levi, prédicateurs des masses, usurpateurs de la colère des peuples, tribuns coupables devant l’histoire, hier, et aujourd’hui encore : Heinrich Himmler, Reinhard Heydrich, Klaus Barbie, Goebbels, Goering, Hitler, Mussolini, Franco.
La liste n’est pas exhaustive, mais elle porte en elle assez de responsabilités, assez d’infamies pour n’accorder aucune circonstance atténuante à ces hommes-là, pour ne ressentir aucune compassion, aucune compréhension à l’égard de ces hommes sanguinaires. Certains d’entre eux passeront entre les mains de la justice des hommes, Nuremberg heureusement, Nuremberg comme un mince filet d’air pour respirer à nouveau, pour ouvrir les yeux sur le chaos, pour amorcer difficilement un retour vers l’homme.
La France, elle, n’a pas fait que de la figuration dans ce mauvais film, mais elle a mis du temps, tant de temps à reconnaître le rôle qu’elle a interprétée. La France a commis l’irréparable, la France a trahi ses idéaux, la France s’est salie dans la compromission, dans la soumission, dans la collaboration. Une partie de la France certes, mais des dirigeants et de zélés préfets (Pétain, Laval, Bousquet, Papon…) ont versé de l’encre noire sur notre histoire commune. Ça n’était pas la République, nous sommes d’accord, oui, mais c’était la France malgré tout. Et il a fallu attendre 1995 et Jacques Chirac dans son discours du Vel d’Hiv pour que l’on cesse de jouer avec les mots et les faux-semblants. La France de Vichy a fait le lit de la rage de Berlin. C’est un fait historique incontestable. Seulement 2500 déportés sur les 76000 juifs que la France a lâchement livrés au régime nazi retrouveront leur patrie.
Pour les 85 000 déportés politiques, ils seront 50 000 à revoir la France. Les lois scélérates pleuvent : contre les femmes avec l’avortement jugé comme « crime contre la sûreté de l’Etat » ; contre le monde ouvrier avec des syndicats uniques et l’interdiction du droit de grève ; contre les juifs et les opposants communistes que les milices de Pucheu traquaient sans vergogne. Rappelons-nous du 27 mars 1942 et du premier convoi de déportation. Rappelons-nous du 7 juin 1942 et de l’ordonnance allemande appliquée avec zèle par les autorités françaises, celle du port de l’étoile jaune. Rappelons-nous du 16 et 17 juillet 1942 et de la rafle du Vel d’Hiv. Les ressorts de ce chapitre sinistre de notre histoire reposent sur des éléments assez clairs. Il y a la déroute militaire, il y a la volonté de la haute bourgeoisie d’en découdre avec l’esprit républicain et les avancées progressistes du Front Populaire, de 1848, de 1789 et il y a enfin, comme en Allemagne, le ralliement des puissances de l’argent à la droite nationaliste pour contrer les aspirations du peuple, des travailleurs et des classes populaires.
C’est un verbe, un verbe de chair, de sang, un verbe de sens aussi, qui finira par stopper la déflagration, qui finira par faire plier le pire régime de notre histoire, le 3ème Reich. Résister, quand tout prête à faire profil bas. Résister quand c’est sa propre vie que l’on met dans la balance. Résister, quand c’est sa propre famille, ses proches, ses amis que l’on expose aux représailles. Résister par des gestes simples comme celui d’approvisionner un maquis, comme celui de cacher un juif dans sa maison. Ce verbe en 1940, il faut être fort pour le suivre, il faut être fort pour sublimer la peur, il faut être fort pour lui donner corps, c’est le cas de le dire.
Nous avons une dette envers les combattants de 40, résistants communistes, gaullistes, socialistes, maquisards épris de République, tirailleurs sénégalais, algériens, combattants de l’outre-rhin, alliés américains, canadiens, soldats de l’armée rouge. Tous ceux qui n’avaient que leur courage pour tenir debout et leur volonté pour avancer, pour marcher contre.
Aux patronymes de l’infamie répondent les patronymes de notre démocratie. Il y a Lucie et Raymond Aubrac, Jean Moulin, Missac Manouchian, Charles de Gaulle, les FTP-MOI, le CNR, et tous les autres, restés dans l’anonymat de l’histoire. Comme disait Malraux, il y a ceux qui « sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé ».
Il y a ici à Vénissieux tous les résistants, qui ont œuvré pour la libération de notre ville, de notre pays, de notre République. Ils ne se connaissaient pas mais se ressemblaient tous : l’insurrection morale, civique, l’insurrection du moi contre la loi du plus fort, contre la soumission, contre la résignation, les a fait se lever. Un combattant ici, puis deux, puis des dizaines, des centaines, dans des maquis, dans des usines, dans des villages, en France ou dans les Sudètes, à Prague ou à Paris, à Rome ou à Berlin, puis des structures, des organisations, des réseaux et au terme d’un combat tragique un 8 mai 45, une capitulation sans condition.
Les camps sont libérés, l’horreur de ce que l’on va y découvrir va laisser l’homme sans voix. Il va falloir à nouveau habiter ce siècle, mais pour aucun des témoins de ce drame ce ne sera facile. Le choc est tel, l’impact est si durable que plus rien ne sera comme avant. Comment penser le présent à la lumière de ce désastre ? Comment s’approprier le verbe Résister à l’aune de ce qu’ils ont enduré ? Comment transmettre à nos enfants les images de Nuit et Brouillard ? Comment regarder ces corps faméliques, ces cadavres empilés d’Auschwitz ? Comment parler d’une telle brutalité, d’une tragédie sans précédent, d’un déchaînement bestial dont l’homme et l’homme seul est l’auteur ?
66 ans après, toutes ces questions sont parmi nous. Le délitement sans précédent de nos sociétés actuelles peut même nous les renvoyer en pleine figure plus vite qu’on ne le croit. Le populisme et l’extrême droite montent partout en Europe, ils ne faisaient pas autrement dans les années 20 et 30. Les raccourcis, les amalgames, les rejets, le racisme s’ancrent dans les esprits. Ils gagnaient du terrain dans les années 20 et 30. La crise de 29 a été l’un des moteurs de l’avènement du 3ème Reich. Celle du capitalisme financier va porter qui au pinacle ? Avons-nous bien retenu toutes les leçons de l’histoire ? L’avenir nous le dira, mais c’est à nous, et à nous seuls de le faire pencher du bon côté.
Je vous remercie.
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